Informations pratiques :
GHITA SKALI: Narratives Machines:Episode 2 / الالات السردية : الحلقة الثانية
Curaté par Marie de Gaulejac
->Exposition du 26/01 au 02/03/2019
->Vernissage : le vendredi 25/01 de 17h à 21h;
->Ouverture sans rdv les samedis de 14h à 18h : 26/01 + 02/02 + 09/02 + 16/02 + 23/02 + 02/03.
Texte de présentation de l’exposition, écrit par Marie de Gaulejac:
(English version below)
Lorsque Ghita me confiait qu’elle lisait « La maladie comme métaphore », de Susan Sontag je me suis souvenue d’un très bel entretien de Jonathan Cott interviewant l’écrivaine affirmant ceci: « Ce que je veux, c’est être au cœur de ma vie – être là où l’on se trouve, contemporain de soi-même dans sa vie, prêter une totale attention au monde, qui vous inclut. Vous n’êtes pas le monde, le monde n’est pas identique à vous, mais vous êtes dans le monde et vous lui donnez toute votre attention. C’est ce que fait un écrivain. » C’est ce que Ghita Skali accompli en tant qu’artiste.
Avec Ghita, nous ne nous sommes encore jamais rencontrées physiquement mais travaillons ensemble depuis maintenant plus d’un an lorsque pour la première fois en octobre 2017, je l’ai invité à prendre part à l’exposition « Vos désirs sont les nôtres » programmée par Triangle France – Astérides à Marseille. Une collaboration uniquement via écrans, une approche nécessitant confiance et sincérité de l’une envers l’autre.
L’exposition « Narratives Machines – Episode 2 » présentée ici à Été78 à Bruxelles, aborde une réflexion menée en plusieurs étapes, avec plusieurs personnes depuis déjà quelques années. Les Narratives Machines se saisissent d’anecdotes, de rumeurs ou d’annonces fugitives sur des inventions médicales et scientifiques où l’artiste questionne les zones de pouvoirs et s’attarde à observer avec ironie comment circule la désinformation créatrice de faux espoirs.
Dans cette exposition personnelle, Ghita Skali propose une métaphore grinçante face à une intrigue ayant fait l’objet de grands titres sur de nombreux sites internet obscurs ou algorithmes de nos ordinateurs que l’artiste n’a de cesse de scruter alors que d’autres se contentent de lire pour oublier. Ghita raconte ici une histoire qui la fait comme elle le dit « sourire de côté » et s’éloigner mentalement de certains sens et idées communes donnant lieu à un texte saisissant.
Une centaine de pains baladis avec kofta ont été cuisinés, desséchés, cuits, laqués pour l’occasion. Les éléments naturels qui composent ces sandwichs sont quasi neutralisés mais ne cessent cependant de continuer le processus lent de la matière alimentaire allant vers le pourrissement ou bien des odeurs aggravées. La salade elle, est verte et artificielle. L’idée de recette culinaire est bien loin mais le geste n’en reste pas moins fort.
Ces sandwichs obsèdent l’artiste. Écrit et oralité accompagnent son obsession; le texte parle du sandwich en le chargeant d’une affirmation grinçante. Le public ne repartira ni avec le texte ni avec un sandwich, mais avec ce doute d’avoir vu quelque part posé, un objet contaminé. Un ensemble, où le froid d’une table en aluminium sur un sol gris clairsemé de cagettes en plastiques noires et colorées sur lesquelles chaque sandwich sont disposés, tire sa révérence au travail de l’artiste Zoé Léonard. Dans son œuvre « Strange fruit (for David) » (1992-1997), Zoé Léonard travaille pelures d’orange, banane, pamplemousse, citron et avocat qu’elle recouds avec fil, fermetures à glissière, boutons, tendons, aiguilles, plastique ou fil de fer, nous demandant d’assister à la dégradation et à la permanence des choses face à la perte. Ghita Skali a choisi elle aussi de parler du drame. Sa voix diffusée dans l’espace lira un texte disposé au sol sous forme de posters plastifiés et taira, par un bip sonore, le nom des personnes touchées. Ce discours teinté de sarcasme respectera cependant une mise à distance chère à l’artiste.
Le 28 février 2014, The Guardian titrait : « Egypt’s military leaders unveil devices they claim can detect and cure Aids ». Le général des armées et docteur Ibrahim Abdulatti déclarait dans une conférence de presse que son invention utilise l’életromagnétisme pour détecter et guérir du Sida et d’autres virus comme celui de l’hépatite C, le cancer et le diabète… Ces machines se nomment C-fast, I-Fast, et Complete Cure Device. Toujours en 2014, le général Ibrahim Abdulatti affirme aussi dans ce même article de The Guardian: “I take Aids from the patient and nourish the patient on the Aids by giving him a skewer of Aids kofta”.
Une telle déclaration obnubile l’artiste et engendre ce deuxième épisode des Narratives Machines, présenté à Été 78. Ce travail mêlant une narration invraisemblable et des souvenirs, agite les questions de droit de dire ou ne pas dire, révèle à certains endroits le vrai du faux pour porter enfin attention aux aspects vulnérables de l’être et son ancrage. C’est pour se rapprocher de ses propres doutes, rattrapée par le désir de s’en foutre, que Ghita Skali nous plonge dans un paradoxe vertigineux entre le désir de la croire et un scepticisme grandissant face à un besoin de vérité. Une ambivalence déconcertante devant laquelle l’artiste fait face et tient tête.
Souhaitant élargir notre horizon, mais aussi afin de mettre en avant le métier de curateur, nous avons demandé à la curatrice Marie de Gaulejac de nous proposer un projet, pour l’Eté 78, qui entrerait en résonance avec notre programmation 2019. Elle nous propose de découvrir le travail de Ghita Skali, artiste marocaine née à Casablanca, actuellement en résidence à Amsterdam à De Ateliers après avoir étudié à Lyon au post-diplôme des Beaux-Arts et à Nice à la Villa-Arson.
Ghita Skali s’intéresse, notamment au travers d’installations, aux relations de pouvoir basées sur des mythologies, des rumeurs, des hypothèses, des informations fausses, des anecdotes qui souvent marquent les esprits un court instant, s’effacent de notre mémoire rapidement mais dont il reste malgré tout quelque chose de diffus. Il s’agira d’une toute nouvelle installation de l’artiste.
C’est une occasion de découvrir le travail d’une artiste qui aborde avec force des sujets apparus dans les médias et nous amène à nous questionner sur nos croyances, nos illusions. Il est important de pouvoir questionner le vrai et le faux dans notre actualité, de douter, de prendre le temps de s’arrêter sur un sujet et d’y réfléchir avant qu’il ne disparaisse déjà, très vite.
Pour plus d’informations sur Ghita Skali et Marie de Gaulejac:
http://www.ghitaskali.com et http://mariedegaulejac.net
English version:
When Ghita Skali told me that she was reading Illness as Metaphor from Susan Sontag, it reminded me of this interview of writer by Jonathan Cott in which she stated: “The greatest effort is to be really where you are, contemporary with yourself, in your life, giving full attention to the world. That’s what a writer does. » And, as an artist, this is what Ghita Skali does.
Ghita and I never met but, had been working together for more than one year when I first invited her in October 2017, to be part of Vos désirs sont les nôtres, an exhibition that took place in Triangle France-Astérides in Marseille. This was the starting point of a virtual collaboration requiring mutual confidence and trust.
The Narratives Machines – Episode 2 exhibition at Été 78 in Brussels, is addressing a reflection conducted by several persons through various stages, over the last years. The Narratives Machines are capturing anecdotes, rumors or fleeting announcements on medical and scientific inventions. The artist raises questions on Power relations and cautiously observes with irony the way creative misinformation of fake hopes spreads.
For her solo show, Ghita Skali discloses a caustic metaphor of a plot that has been highlighted on many dark websites or through computer algorithms that the artist keeps scrutinizing while others just read and forget. Ghita is telling a story which makes her laugh “inthe corner“, as she says, and also mentally pulls her away from specific meanings and common senses, giving us a striking text.
A hundred of baladi breads with kofta have been cooked, dried, baked, glazed for the occasion.Natural products used in these sandwiches are almost neutralized, yet they still keep on rotting slowly and spreading a stinky smell. Saladis green and artificial. We are miles away from the idea of a recipe but the gesture remains efficient.
The artist is obsessed with these sandwiches. Her obsession is supported by writings and speakings. The text deals with the sandwich in a trenchant manner.Visitors will leave neither with the text nor with a sandwich, but with the odd feeling that he or she has seen a contaminated object, somewhere, somehow. A cold aluminum table on a grey floor – scattered black and colorful plastic crates on which each sandwich stands, echoes Zoé Léonard’s work.In her piece Strange fruit (for David) (1992-1997), Zoé Léonard works with oranges, bananas, grapefruits, lemons and avocados peels which she sews shut with strings, zippers, buttons, tendons, sewing needles, plastic or iron wire, asking us to witness the degrading stability of things vs loss. Ghita Skali has also chosen to speak about drama. Her voice broadcasted in the space reads out a script printed on posters displayed on the ground and a beep sound is heard to conceal the names of those affected. As such, this speech, which is stained with sarcasm, creates the distance required for the artist.
On February 28th, 2014, the Guardian headline read: “Egypt’s military leaders unveil devices they claim can detect and cure Aids ».The doctor and Armed Forces General Abdulatti claimed in a press conference this invention is using electromagnetism to detect and cure Aids as other viruses: hepatitis C, cancer, diabetes…These devices are called C-Fast, I-Fast and Complete Cure Device.In this same article General Abdulatti also testifies: “I take Aids from the patient and nourish the patient on the Aids by giving him a skewer of Aids kofta“.
Such a statement fascinates the artist and is the starting point of this second episode of Narratives Machines shown at Été 78. This work juxtaposes an unbelievable story and memories. It raises questions about the right to say or not, discloses at timeswhat is true and falseand finally, focuses on the vulnerability ofa human being and his/her roots. To get closer to her own doubts yet caught up by the desire to not give a fuck, Ghita Skali takes us to a deep paradox: we are in between the desire to believe her and a growing skepticism facing with a need for truth.A baffling ambivalence the artist faces and stands up to.
Marie de Gaulejac
Thanks to:
Translation: Léa Roch
Sound Editing: Adrià Martí Comas
Proofreading: Leo Arnold and Inas Halabi
Graphic Design: Roxanne Maillet and Mélanie Berger
Michèle Rossignol